Comment acquiert-on le statut d’homme le plus détesté au monde ? Certains tyrans et dictateurs, à travers l’histoire, n’ont pas lésinés sur les moyens d’y parvenir. Décimant et exterminant une large partie de l’humanité au nom de leur idéologie ou de leur folie. Pendant des années, des décennies, ils ont pressuré les peuples, transformant le flot de la vie en un désert brûlant et pourtant, ils n’ont jamais réussi, comme je l’ai fait, à éradiquer l’espoir et anéantir le rêve de milliards d’êtres humains. Et pour accomplir cela… il ne m’a fallu que quelques secondes. Des secondes gravées à jamais dans ma mémoire et dans celle d’une humanité qui pleure encore cette disparition tragique et inimaginable.
Et pourtant tout avait commencé comme le plus beau des contes. J’avais obtenu, pour la première fois depuis 3 ans, le droit de passer noël avec mes enfants âgés de six et huit ans. Pour cette occasion, j’avais l’intention de marquer les esprits et prouver à mes proches et en particulier à mon ex-femme que je n’étais plus cet être futile et creux dont elle se plaisait, depuis notre séparation, à brosser le portrait à qui voulait l’entendre. Dans le jardin de mon ancienne maison, j’avais dressé un immense barbecue – domaine dans lequel on m’accordait encore quelques compétences – qui chauffait à présent comme les Enfers de Dante. Mais la grande surprise résidait dans l’installation de ces superbes et coûteux feux d’artifices, dont le vendeur m’avait assuré qu’ils monteraient jusqu’au cieux et illuminerait dans une explosion de couleurs chatoyantes, le firmament.
A minuit moins cinq, tout le monde était réuni dans le jardin quand j’allumais, sous les yeux émerveillés de mes enfants et de la marmaille gesticulante, la mèche qui allait déclencher – mais je ne le savais pas encore – l’apocalypse qui finirait par embraser le monde entier.
Le vendeur n’avait pas menti. Les premières fusées montèrent si haut que nous eûmes l’impression qu’elles allaient crever les nuages. Quand la première éclata dans une efflorescence pourpre, il y eut un tonnerre d’applaudissement aussitôt interrompu par le son le plus horrible et le plus glaçant qu’il nous ait été donné d’entendre. Des cieux, dans un geyser de flammes orangées, une forme animale tombât et vint s’écraser en bramant dans une gerbe de sang sur la pelouse. Un deuxième renne, puis un troisième et enfin l’attelage au complet s’écrasa dans un bruit ignoble entrainant dans sa chute un traineau magnifiquement décoré et orné de boules et de paillettes et dont le conducteur, tout vêtu de rouge, s’écrasa lourdement au milieu des brochettes et des grillades. Ce fut d’abord sa longue et soyeuse barbe blanche qui pris feu, puis son joli manteau et son bonnet et enfin la hotte qu’il transportait chargée de cadeaux soigneusement et délicatement enveloppés de papiers recyclables mais hautement inflammables. En quelques secondes, celui qui était la joie et l’espoir de millions d’enfants n’était plus qu’une masse informe, grognante et gesticulante se consumant dans un brasier qu’il aurait été vain d’essayer d’éteindre. Et ce n’est certes pas la pauvre tentative du voisin avec son extincteur, ni les hurlements effrayés des convives ou les pleurs des chérubins qui auraient pu y changer quelque chose.
C’est ainsi qu’en ce beau soir de noël, dont je tente désespérément d’oublier l’année, j’ai tué un mythe, perdu pour toujours l’estime et l’amour de mes enfants et suis devenu l’homme le plus haï de l’univers.