Les coulisses sans concession d’une représentation avant la première.
Gildas
On ne va pas tout changer la veille de la première. Ecoutez Richard, je sais que vous avez peur, mais il faut me faire confiance.
Richard
(Piqué au vif) Je n’ai pas peur.
Gildas
Ce n’est pas ça que je voulais dire.
Richard
C’est quand même le mot que tu as utilisé.
Gildas
Vous avez raison. Je vous demande de m’excuser, alors. Je sais que vous n’avez pas peur. Mais cette… appréhension… appréhension ça va ? C’est correct ? Cette appréhension est normale. Cela fait longtemps que vous n’êtes pas monté sur les planches. Ça fait quoi ? 35 ans ?
Richard
Tu es fou ! 35 ans ! Non, ça fait… attends. La dernière fois, c’est juste avant que je sois nominé au César.
Gildas
Oui, le César du jeune espoir. C’est ce que je dis, ça fait 35 ans.
Richard
Tu es sûr ? 35 ans ?!! Pff. Ça passe à une vitesse.
Gildas
Ce que je veux dire, c’est que vous avez peut-être un peu oublié le contact direct avec le public. L’exaltation de la scène. Je ne vous apprends rien, mais bon la télévision, c’est… (Dénigrant un peu ce qu’il considère comme un art mineur) … hein ? Attention, je n’ai rien contre la téloche. C’est très bien. Moi je passe des heures devant pour me vider la tête. Pas besoin de réfléchir. On prend sa dose d’image. Mais ça reste technique. On joue pour une caméra et puis soyons honnête. Votre premier public… (Baissant la voix) je ne veux pas dire, mais… c’est quand même des techniciens.
Michel
(Qui a les oreilles qui trainent continuellement sur le plateau) Quoi encore les techniciens ?
Gildas
Quoi ? Non, mais rien. Je parle à Richard, là. Arrêtez de vous mêler de tout, Michel. (A Richard) Le public, quand on a plus l’habitude, c’est quelque chose qui peut vraiment faire peur.
Richard
Je t’ai déjà dit que je n’avais pas peur.
Gildas
Oui pardon. Je retire le mot. Ce n’est pas ce que je voulais dire. Encore une fois toutes mes excuses.
Richard
(Un peu vexé) J’ai quand même tourné avec Buñuel.
Gildas
Non, mais Richard je ne suis pas en train de remettre en cause votre carrière. Bonduel c’est très bien. Vous êtes un grand acteur, personne ne le conteste. Même dans vos pubs vous êtes génial. Tout le monde ici vous aime et vous apprécie. (Vers les techniciens) Hein ?
Il recherche en vain l’appui des techniciens, mais ceux-ci l’ignorent ostensiblement.
Gildas
Vous voyez ? Vraiment, Richard. Je vous le répète, votre présence est un vrai cadeau. On est tellement heureux, avec Armand que vous ayez accepté ce rôle. C’est parfait pour votre grand retour sur une scène parisienne. Toutes les plus belles scènes d’amour du répertoire classique et contemporain. (Montrant le plateau) Tout ceci n’est qu’un jeu finalement. Et comme disait le grand Sacha Guitry : « Il n’y a rien de plus futile, de plus faux, de plus vain, de plus nécessaire que le théâtre »
Michel
(En train de rouler des câbles) Ça c’est de Jouvet.
Gildas
Quoi ?
Michel
La citation, c’est de Louis Jouvet.
Gildas
(Froid) Je suis pas mal sûr que c’est de Guitry.
Michel
Moi, je suis carrément sûr que c’est de Jouvet.
Gildas
Oui, bon, je n’ai pas le temps de discuter de ça avec vous. Guitry, Jouvet, Tartempion, c’est pareil. Ce n’est pas le sujet. Merci.
Richard
Attends Elise. Tu ne pourrais pas être un peu plus… enfin un peu moins, comment dire… molle. Je ne sais pas.
Elise
Molle ? je ne comprends pas. (Abasourdie, elle se retourne vers son metteur en scène) Gildas ?
Richard
Non, mais tu vois… j’ai l’impression de tenir une…
Gildas les interrompt.
Gildas
Merci. Merci beaucoup pour ta réaction, Richard. Après, c’est juste que si on pouvait convenir d’une chose… ne le prend pas pour toi, hein, mais ça tombe bien qu’on en parle. Voilà, si on doit interrompre la scène, c’est plutôt à moi de le faire.
Richard
Oui, mais là ça m’est venue d’un coup et après j’aurai oublié.
Gildas
Je comprends, je… oui, tu as raison, il faut garder cette spontanéité, c’est très bien et il faut dire les choses. Surtout ne rien garder pour soi, je suis d’accord. Mais, voilà. J’ai une certaine idée de la scène et c’est plus facile pour moi qui suis extérieur de juger ce que vous faites. Tu comprends ?
Richard
Non, mais je ne voulais pas prendre ta place.
Gildas
Non, mais t’inquiètes. Loin de moi l’idée de… voilà. Pour en revenir à la scène justement. C’est très bien. C’est magnifique, poignant. Globalement, je n’ai rien à dire sur le jeu, même si peut-être, comme dit Richard, il y a chez toi, Elise, un petit côté…
Richard
Mou.
Gildas
J’allais dire nonchalant. Voilà un côté nonchalant chez toi Elise, mais ça se corrige très facilement. Vraiment je ne suis pas inquiet. Sinon, l’autre chose que je voulais dire… ce n’est rien, hein, Richard, mais est-ce que vous pourriez, enfin est-ce que Raymon pourrait prendre Indiana plus passionnément dans ses bras ?
Richard
Je n’étais pas assez passionné, là ?
Gildas
Si, si. On sent bien toute l’émotion de Raymon. Intérieurement, vous êtes rempli, chargé, mais c’est dans le corps, je ne sais pas. Il y a comme une retenue. C’est très léger bien sûr, mais on la perçoit… enfin, moi je la perçois.
Richard
(Ironique) Tu aperçois quoi ?
Gildas
Non, je la perçois, je la ressens. (Un temps) Ah ? C’était une blague. Désolé. J’ai du mal avec le second degré. C’est mon problème. Je suis tellement dans mon truc, que… dès fois tout le monde rigole et je suis le dernier à comprendre. Ça m’arrive tout le temps ! Pour en revenir au personnage de Raymon, dans cette scène, il veut se noyer dans les bras d’Indiana. C’est ce que j’imagine. Il veut s’y noyer et en même temps il veut la retenir elle-même de sombrer. C’est une passion folle, qui lui échappe totalement. Leurs corps doivent fusionner. Je ne sais pas si c’est clair ?
Richard
Fusionner ?
Gildas
Voilà, fusionner. Ne faire qu’un. Je veux une étreinte sauvage, irraisonnée.
Richard
(Désignant Elise) Si je la sers plus fort, je vais la broyer la pauvre. Déjà qu’elle est toute mol… nonchalante. Et puis, elle est toute mince, toute menue. (A Elise) Désolé, mais c’est vrai tu es toute menue.
Elise
Je ne suis pas en sucre non plus. Ce n’est pas comme si vous étiez une meule. (Rire nerveux. A Gildas) Moi ça ne me dérange pas s’il me sert plus fort.
Gildas
Vous voyez, vous pouvez y aller ! On reprend à : « pour mourir ».
Les deux reprennent la scène et disent en même temps : « Pour mourir ! »
Gildas
Stop ! Qu’est-ce qui s’est passé là ?
Elise
Ma phrase finie par « mourir » et la sienne commence par « mourir ». Du coup, c’est qui qui commence ?
Gildas
Richard tu commences.
Richard
Je préfère que ce soit Elise. (A Elise) Tu peux reprendre un peu plus haut ?
Elise
D’accord. (Elle se concentre, puis reprend la scène) Assez, assez ! Ne me parlez pas ainsi, à moi qui ne dois pas être heureuse…
Richard
(L’interrompant) Non, juste la fin. Pas la réplique en entier.
Elise
Ah d’accord ! Ok. (Elle se concentre à nouveau, puis reprend la scène)… pour mourir.
Richard
Non, mais un peu plus haut quand même. Un entre-deux c’est juste pour m’aider à démarrer.
Elise
Très bien. (Elle se concentre à nouveau, puis reprend la scène) Ne me montrez pas le ciel sur la terre, à moi qui suis marquée pour mourir.
Richard
Pour mourir ! (Il la prend dans ses bras et la sert très fort cette fois ; Elise pousse un petit cri étouffé) Toi, mourir ! Indiana ! mourir avant d’avoir vécu, avant d’avoir aimé !… (Elise est à deux doigts de défaillir. Richard la lâche puis, à Gildas) Tu vois ? je te l’avais dit. Elle ne supporte pas le choc.
Elise
(Avec une petite voix étouffée) Oui, enfin, il y a une différence entre passion et pression.
Richard
Moi je suis un acteur entier. D’accord. Je ne peux pas faire les choses à moitié. On me demande de serrer. Je serre. Point. (A Gildas) Après je n’y peux rien, moi, si on l’entend craquer.