LA CONSEILLÈRE
Asseyez-vous, Mlle. Alors, vous êtes assistante de direction.
JULIETTE
C’est ça, oui.
LA CONSEILLÈRE
Est-ce que vous avez mal au cœur en voiture ?
JULIETTE
Euh… non, pas spécialement.
LA CONSEILLÈRE
J’ai un poste d’assistante de direction voiture. Vous êtes à l’arrière du véhicule et vous guidez d’une voix agréable le conducteur dans ses multiples déplacements. Vous repérez l’itinéraire, vous le mémorisez et vous indiquez la direction. RMI.
JULIETTE
RMI, c’est le salaire ?
LA CONSEILLÈRE
Non, c’est moyen mnémotechnique pour retenir la procédure. Repérage, Mémorisation, Indication. RMI. Ironique, non ?
JULIETTE
En gros, je suis GPS, quoi ?
LA CONSEILLÈRE
A la différence qu’un GPS n’insulte pas les autres automobilistes. Vous, si. « Avance, abruti ! La priorité c’est pour les chiens ? Et le clignotant il est en option, pauvre tâche ! » Ce genre de chose, vous voyez. Vous soulagez ainsi le conducteur de tous ces petits stress quotidiens diminuant ainsi les risques d’accidents.
JULIETTE
Le pire gros mot que je n’ai jamais osé dire, c’est : « purée ».
LA CONSEILLÈRE
Ah ! Oui. Effectivement, ça risque d’être insuffisant pour le réseau routier. (Prenant un stylo et un papier) Alors, donnez-moi, une aptitude particulière, un trait de caractère dominant, et un défaut majeur.
JULIETTE
Une aptitude particulière ? J’ai le pouvoir de trouver les fèves dans les galettes. A tous les coups, ça marche. C’est un don. Pas très utile sauf à l’épiphanie. Un trait de caractère… je suis quelqu’un de très positif. Très à l’écoute, toujours de bonne humeur et patiente. Ça fait quatre traits, là. Ça compte quand même ? Et comme défaut… je ne suis pas du tout physionomiste. Je confonds toujours Mat Damon et Léonardo di Caprio. Du coup, je n’ai rien compris aux « infiltrés » le film de Scorsese.
LA CONSEILLÈRE
Hum… hum… ça vous dirait de prendre ma place ?
JULIETTE
Pardon ?
LA CONSEILLÈRE
De faire ce que je fais ?
JULIETTE
Vous croyez ?
LA CONSEILLÈRE
Asseyez-vous à ma place.
Les deux jeunes femmes changent de place.
JULIETTE
Qu’est-ce que je dois faire ?
LA CONSEILLÈRE
Répondre à mon anxiété. Vous allez vite comprendre.
Elle se retourne sur elle-même et quand elle revient vers Juliette elle incarne un demandeur d’emploi acariâtre.
LA CONSEILLÈRE
Ce n’est pas trop tôt. Ça fait deux heures que j’attends. A quoi ça sert de donner des rendez-vous avec une heure précise, si c’est pour poireauter des plombes dans des locaux pourris, avec des gens aimables comme des portes de prison ? On n’peut même pas pisser, les chiottes sont condamnées par Vigipirate.
Juliette reste interdite, ne sachant pas quelle attitude à adopter.
LA CONSEILLÈRE, reprenant sa voix normale
Il faut répondre, Juliette. Vous voyez bien que cette personne est irritée.
JULIETTE
Qu’est-ce que vous voulez que je réponde à ça ? Je ne sais pas quoi dire.
LA CONSEILLÈRE
Et vous croyez que je sais, moi ?
JULIETTE
J’imagine, c’est votre travail, vous êtes formée pour ça.
LA CONSEILLÈRE
Ça, c’est ce que tout le monde croit. Mais face à ce genre de personne, on est démuni. Et vous savez pourquoi on est démuni ? Parce que la plupart du temps, ces personnes ont raison. Les toilettes, les locaux, l’attente. Tout ça c’est vrai. Il n’y a rien à dire. Alors on fait quoi ? On prend sur soi, on les rassure, on essaye de les aimer un peu. Vous avez compris ?
JULIETTE
Euh… oui, je crois.
LA CONSEILLÈRE
Bon, rendez-moi mon fauteuil. (Nouvel échange de place) Alors, ça vous tente ? (Un temps) En même temps, on n’est pas aux pièces. En attendant, Juliette, et vous aussi mesdames et messieurs, voici une petite nouveauté chère à notre directeur. Finis les austères panneaux bondés d’annonces parfois incompréhensibles. Voici une sélection des coups de cœur des métiers de la semaine… comme si vous y étiez. La référence de l’annonce est indiquée juste après. Prenez des notes !
Le rideau se ferme et un écran de projection descend des cintres plein centre. Apparaît le logo de la gueule de l’emploi. Après chaque métier présenté, on nous fournit le numéro de référence de l’annonce.
VOIX OFF
La gueule de l’emploi présente : « LES COUPS DE CŒURS DE LA SEMAINE ».
On voit un homme à une terrasse de café en train de prendre un verre. Un prêtre béni le verre de l’homme et reste debout près de lui. Flash. Il bénit la voiture qu’il va conduire. Flash. Il récite une prière.
VOIX OFF : Vous ne trouvez pas de place pour vous garer, vous cherchez un plombier disponible un WE de pâques, pas de panique avec nos PRÊTRE A PORTEE, vous aurez toujours une prière d’avance. Spécialiste de la bénédiction de proximité, ils sont là pour bénir vos actions les plus quotidienne. Avec un prêtre à portée, mettez Dieu lui-même dans votre poche.
Réf. NHPM862
Un clown entre sur scène.
LE CLOWN
Bonjour ! Tu as toujours aimé faire rire ton entourage, tes amis, tu as un répertoire époustouflant d’imitations approximatives ?… Au sein de l’association (Faisant semblant de rire) AAAAA – Association Anonyme et Affligeante des Artistes Approximatifs – tu animeras des anniversaires sans cadeaux, des goûters sans amis, des fêtes navrantes et des galas pitoyables. La profession idéale pour ceux qui sont tombés assez loin du talent, et qui n’ont pas peur de faire une carrière marginale, oubliée des médias. Laisse-moi te présenter mes amis. Et pouêt !
Sur l’écran passe un spot publicitaire. Défile alors une série de témoignages très rapides de l’équipe de l’association.
En surimpression : Athanor (Magicien quasi spectaculaire)
L’homme rate un tour. Bonjour, moi c’est Athanor et mes numéros sont presque au point.
CUT
En surimpression : Janny (Jongleuse aléatoire)
La femme jette en l’air une dizaine de quilles de jonglage qui tombe un peu partout autour d’elle. C’est toute la beauté de la chose. Quand je jette mes balles ou mes quilles en l’air, je ne sais pas combien je vais en rattraper. A chaque fois, c’est différent. Je ne m’ennuie jamais. Ça tombe où ça peut, c’est magnifique.
Elle en prend une dernière sur la tête.
CUT
Coulmane (Equilibriste précaire ou temporaire) :
L’homme fait un équilibre et se ruine par terre. Mes moments d’équilibre sont très fugaces et il faut avoir l’œil exercé pour les saisir. Entre le moment où je prends mon appel et celui où, fatalement, je tombe, il y a un court et fragile moment d’équilibre. C’est à ce moment précis que j’exerce véritablement mon art.
CUT
Sylvie (joueuse de flûte à un pan)
La femme souffle dans son appareil et produit un son. Elle se retourne vers la caméra et sourit. Je joue dans l’orchestre monotone depuis 7 ans maintenant. C’est toujours aussi merveilleusement lassant. Je trouve particulièrement émouvant de s’endormir au milieu d’un morceau. Dans ces moments, l’orchestre est véritablement au diapason et tout le monde s’endort de concert si je puis dire. C’est fort.
CUT
Pipo (Clown presque drôle)
Le clown présentateur du spot télé. Bonjour les éléphanfants ! Ouais, je sais, c’est pas tout à fait drôle… mais quand même… un peu… non ?
CUT
Garry (Trapéziste au sol)
L’homme est dans le plâtre jusqu’au cou. J’ai quand même réussi à me péter les deux jambes et le bassin. Je ne sais pas comment j’ai fait ! (Rires)
Retour sur le clown présentateur.
LE CLOWN
Convaincu ? Alors, n’hésite plus et rejoint dès maintenant notre équipe anciennement jeune, raisonnablement sympathique et presque dynamique d’imitateurs et autres artistes approximatifs. A bientôt. Et Repouêt.
Il appuie sur une poire et la petite fleur à sa boutonnière projette de l’eau sur les spectateurs.
NOIR. Grand rire de clown.
VOIX OFF
Vaguement prévu pour le mois de mai, nous avons décidé de manière hypothétique de sortir le numéro de juin, fin septembre. Longtemps incertains sur le contenu de ce numéro (dans la mesure où l’actualité aléatoire de nos artistes est encore un peu floue), nous avons préféré rester nébuleux sur le sujet qui, de toute façon, n’était pas déterminé de manière précise. Dans le prochain numéro d’octobre qui sortira, probablement, début décembre, nous vous fournirons de nouvelles imprécisions sur les métiers approximatifs.
Les lumières se rallument sur le plateau. Celui-ci est arrangé comme une salle de cours. Un homme s’y prépare physiquement en faisant des vocalises.
Une femme à l’aspect sévère et autoritaire entre assez en colère, un journal à la main.
JACQUELINE
Pascal, qu’est-ce que c’est que ce torchon ?
Pascal JACQUOT, 35 ans
IMITATEUR APPROXIMATIF
PASCAL JACQUOT
Ça ? C’est l’interview que j’ai donné sur l’évolution des professions aléatoires ou les presque métiers.
JACQUELINE
Je le vois bien. Mais tu as l’intention de foutre ta carrière en l’air ?! (Lisant) « Ça m’est arrivé une fois d’avoir une imitation presque parfaite. Ça fait peur ! Tu te dis « qu’est-ce que j’ai ? » C’est pas moi, ça. Heureusement que ça ne s’est jamais su. C’est un coup à te griller dans le métier. […] Oui, mais là ça ne compte pas, c’est pour l’exemple ». (Frappant le journal) Bravo !
PASCAL JACQUOT
Mais je lui avais dit que c’était pour l’exemple. Elle ne devait pas le publier.
JACQUELINE
C’est la presse, qu’est-ce que tu crois. Et ça ! (Continuant de lire l’article) « Il y a des artistes que j’ai arrêté d’imiter. Amanda Lear, par exemple. Eh bien ça donnait une imitation parfaite d’Alain Delon ». Et plus loin. « En sortant de prison, je me suis dit que mon avenir était derrière moi et qu’il fallait que j’aille de l’avant. Que je change de voix. C’est pour ça que je suis devenu imitateur » La prison, de mieux en mieux. En plus ils ont été fouiller dans ton passé. Il y a un extrait de ton casier judiciaire : « Pascal JACQUOT, plus ou moins 35 ans, imitateur approximatif depuis à peu près quelques temps a été faussaire dans sa jeunesse. Son imitation de copie de faux euros était si parfaitement ratée qu’il ne pouvait s’agir que de lui. Il a été arrêté alors qu’il essayait de passer la frontière, déguisé en faux Mickey ». (Elle jette le journal) Bravo ! Bravo et encore bravo ! Enfin. Elle est où, Cathy ?
PASCAL JACQUOT
Elle ne devrait plus tarder.
Une jeune femme arrive toute pimpante. Malgré son enthousiasme, on voit qu’elle est du genre gauche et maladroite. Elle regarde sa montre.
CATHY
Je suis presque à l’heure.
JACQUELINE
C’est bien Cathy. Tu es sur le coup. Tu as travaillé tes imitations ?
CATHY
Quasiment pas.
JACQUELINE
Parfait. Bon, on reprend là où on s’est arrêté hier. Les règles d’or de l’imitateur approximatif sont …? Pascal ?
PASCAL JACQUOT
Toujours citer la personnalité que l’on va imiter approximativement. Comme ça, le spectateur ne fait pas l’effort de chercher à savoir qui c’est.
JACQUELINE
Bon. Cathy ?
CATHY
C’est moi.
JACQUELINE
Je suis au courant. Les règles…
CATHY
Heu… Ecouter les imitateurs réguliers et s’en imprégner pour mieux les imiter à notre tour ?
JACQUELINE
Mais le plus important ? (Un temps) Ne jamais, jamais, rechercher l’imperfection. Elle doit venir toute seule. L’imitation doit être juste presque ça. Tous les deux, vous avez un don pour cela. Pascal, fais-moi Cloclo.
Pascal imite très approximativement Claude François et dans sa voix et dans ses gestes.
PASCAL JACQUOT
Alors ?
JACQUELINE
Il y a quelque chose dans l’intonation, c’est indéniable.
PASCAL JACQUOT
On dirait presque lui, hein ?
CATHY
Presque. C’est pathétique. (Elle se jette dans les bras de Pascal, émue)
JACQUELINE
C’est bon, c’est bon. Cathy, fais-nous ta Lara Fabian.
Cathy hurle JE T’AIME à plein poumon. C’est insupportable.
JACQUELINE
Bien, Il y a du progrès, mais on peut faire plus approximatif encore. N’oubliez pas que vous passez votre Brevet d’Artiste Pas Cher – à la fin de l’année. Ensuite vous pourrez choisir entre le Brevet d’Etudes Précaires ou votre Diplôme d’Etat d’Imitateur Approximatif. Ayez toujours à l’esprit cet artiste extraordinairement commun qui frisa l’imperfection absolue. Celui que l’on surnommait le Léonard de Vinci des peintres abstrait en bâtiment. L’imitation magnifiquement ratée de « Guernica » – qui était déjà pas mal salopé à la base par ce peintre Espagnol, là… Pikachou enfin dans ces eaux-là – reste un de ces chefs d’œuvres absolus en matière de ratage. Sublime !
CATHY
On n’arrivera jamais aussi bas.
JACQUELINE
Mais si, bien sur que si. Surtout toi, Cathy. Tu es quand même sortie presque avant-dernière de ta promo et tu es labellisée : AOC : « Artiste d’Origine Catastrophique ». On peut difficilement faire pire.
Cathy s’effondre en pleurant dans les bras de Jacqueline.
CATHY
Oh, merci, merci.
JACQUELINE
Mais tu le mérites. .