Le chant des comètes

EX – CHACUN SA FIN

GROPIUS

Croyez-vous en Dieu ?

CIBOURE

Bien entendu ! Quelle drôle de question ! Un temps. Et vous, vous êtes croyant ?

GROPIUS

Non, mais je ne déteste pas l’idée de dieu.

CIBOURE

Il y a une différence ?

GROPIUS

Énorme ! … L’idée. Est-ce que vous croyez à l’immortalité ?

CIBOURE

Catégorique. Non !

GROPIUS

Sérieusement. Vous ne croyez pas qu’on puisse vivre éternellement ?

CIBOURE

NON ! Et je ne veux surtout pas y croire ! … ÇA, c’est la seule chose qu’il nous reste. S’il y a bien une chose qui soit sûre dans ce bas monde, c’est la mort. Elle va vite pour certains, prend son temps pour d’autres, arrive à contrecœur ou comme une délivrance, mais elle arrive toujours. Elle n’a jamais raté un rendez-vous. On parle des Suisses pour la précision, et bien voulez-vous que je vous dise… la mort est suisse !

GROPIUS

Qu’est-ce que vous connaissez de la mort ?

CIBOURE

Certainement autant que vous. De toute façon, c’est très simple ! La mort, c’est quand on a cessé de vivre.

GROPIUS

Qu’est-ce que vous connaissez de la vie ?

CIBOURE

De la… non mais dites donc ! ! … Est-ce que je vous en pose des questions ? C’est un interrogatoire ? La vie ne peut pas ne pas s’achever… c’est contre nature.

GROPIUS

Qu’est-ce que vous connaissez de la nature ? Qui vous dit que jadis l’homme n’était pas immortel ?

CIBOURE

Dieu ne l’aurait pas permis. Il a créé l’homme pour qu’il passe, non pour qu’il reste.

GROPIUS

Pourtant, si l’on en croit les écritures, l’homme a été façonné à l’image de dieu.

CIBOURE

Et alors ?

GROPIUS

Alors dieu est immortel… Pourquoi pas sa créature ?

CIBOURE

Il commence à douter. Mais elle ne l’est pas ! Tous les jours des êtres humains meurent… La mort existe depuis toujours !

GROPIUS

La vie aussi. A votre avis, qui a commencé ?

CIBOURE

Je ne sais pas, moi. La vie je suppose. En tout cas, si on regarde bien, la vie comporte trois lettres et la mort quatre. GROPIUS ne comprend pas. C’est toujours le plus fort qui gagne !

GROPIUS

C’est à cause de ça que vous n’avez pas été au bout de votre raisonnement tout à l’heure ?

CIBOURE

De quoi parlez-vous ?

GROPIUS

Vous savez très bien de quoi je parle. J’ai lu la peur sur votre visage. Votre pensée s’est arrêtée au bord de vos lèvres comme au bord d’un précipice.

CIBOURE

A quoi ça sert d’en parler si on pense tous les deux la même chose ?

GROPIUS

Pour clarifier.

CIBOURE

Vous voulez mon avis ?

GROPIUS

Je ne vous le fais pas dire.

CIBOURE

Puisque vous y tenez. Un temps. Non, je ne le pense pas. Jamais je ne me suis senti en si grande forme. C’est une raison, non ? 

GROPIUS

On ne peut pas dire que vous ayez tort, mais on ne peut pas dire que vous ayez raison non plus.

Soudain les lumières virent au bleu. Celles-ci, lentement, deviennent de plus en plus grises, de plus en plus sombres.

 CIBOURE

Et allez, ça recommence ! Foutu pays ! Le temps se gâte. Comme si ce n’était pas assez compliqué comme ça !

Installée sur le plateau, côté jardin, il y a une petite colline herbeuse d ’1m50/1m60 de hauteur et de 3m de long à laquelle on accède par une pente douce. ( Environ 4 à 5m de déclinaison ) Au sommet, un petit monticule de terre que viennent grossir les lentes pelletées d’un homme de trente-cinq ans, grand, presque maigre, dont on ne voit que la tête et les épaules. C’est LE FOSSOYEUR. Il transpire abondamment et ne cesse de se tamponner le front avec un mouchoir.

CIBOURE

D’où sort-il celui-là ?

GROPIUS

Vous n’avez rien écouté de ma théorie. En voici pourtant la preuve éclatante. Au FOSSOYEUR. L’ami ! Dites à ce monsieur incrédule que vous n’avez jamais bougé de cet endroit.

LE FOSSOYEUR s’arrête de creuser et regarde les deux hommes en s’épongeant.

LE FOSSOYEUR

Monsieur, je vous répondrai simplement que je ne couche pas ici. Même si j’aime mon métier, c’est assez de passer les journées entières dans ce trou en attendant d’y passer ma mort.

CIBOURE

A GROPIUS, lui montrant qu’il a tort. Ah !

GROPIUS

D’accord, mais cet endroit, il a toujours été là ? Vous ne vous trimballez pas avec ce lopin de terre sous le bras ?

LE FOSSOYEUR

Monsieur, ma mère me disait souvent : « Par l’observation de tes contemporains, tu trouveras la part de sagesse qui te revient  ». J’ai longuement observé l’homme. J’ai croisé des sages, j’ai croisé des fous. J’ai côtoyé l’intelligence et la bêtise, la raison et la démence, j’ai rencontré des êtres dont l’esprit battait la campagne, certains l’avaient perdu sans espoir de le retrouver, d’autres l’avait oublié à la naissance, j’en ai connu dont l’esprit était obtus, tordu, tortueux, sinueux, retors, oblique, parabolique, trigonométrique, pas catholique, détourné, entortillé, bistourné, escarpé, étriqué, minuscule, embryonnaire, microscopique, microzoaire… mais dans chacun d’eux on pouvait déceler un fond de lucidité, monsieur.

CIBOURE

Vous aussi, vous trouvez qu’il est un peu…  Il fait un geste du doigt sur la tempe.

GROPIUS

A CIBOURE. Suffit ! Au FOSSOYEUR. Répondez seulement à ma question.

LE FOSSOYEUR

Si vous me demandez mon avis quant aux probabilités de déplacement d’un champ entier autrement que par des causes naturelles comme tremblement de terre ou glissement de terrain, je vous répondrai qu’elles sont pratiquement nulles. Mais je ne suis pas géologue et je peux me tromper. Tout ce que je puis dire, c’est que depuis vingt ans que je manie la pelle et la pioche sur cette colline, elle n’a pas bougé d’un pouce.

GROPIUS

A CIBOURE en lui montrant qu’il a tort. Ah !

CIBOURE

Cette colline est là depuis toujours ! Parfait ! Je n’ai jamais dit le contraire. Je me doute bien qu’elle ne se promène pas à droite, à gauche, pour se dégourdir les racines.

GROPIUS

Vous reconnaissez les faits ? Alors si personne n’a bougé, comment se fait-il qu’on se croise ?

CIBOURE

J’admets qu’il y a du louche. Au FOSSOYEUR. Comment expliquez-vous ça, vous ?

LE FOSSOYEUR

Vous savez, moi je creuse.

CIBOURE

Vous trouvez ça normal ?

LE FOSSOYEUR

Pour un trou, c’est ce qu’il y a de mieux à faire.

CIBOURE

Mais non, je parle de … du… oh et puis zut ! Ça me dépasse.