Nom d’un chien

DANS CETTE SCÈNE, LE PATIENT EST CACHE SOUS LE LIT. CATHERINE NE S’EN EST PAS APERCUE. COMME DANS LA FAMEUSE SCENE DU BALCON DE « CYRANO », LE PATIENT VA SOUFFLER A PAUL LES MOTS QU’IL DOIT DIRE POUR SEDUIRE CATHERINE.

CATHERINE

Hé bien vous prenez une serpillière et vous nettoyez. Elle passe la main sur une table. Il y a encore de la poussière ici. Elle entreprend de vérifier un peu plus avant le travail de Paul.

PAUL

A genoux au pied du lit, il s’adresse au Patient. Qu’est-ce que vous faites ici ?

LE PATIENT

Je dors. Ça ne se voit pas ?

PAUL

Vous savez qu’il y a un matelas au-dessus ?

LE PATIENT

Je vous expliquerai. Un temps. Qu’est-ce que vous attendez pour lui dire un mot gentil !

PAUL

Pfft ! Elle me déteste.

CATHERINE

Toujours à son inspection. C’est bien d’avoir réparé la vitre Paul. Quand vous aurez cinq minutes, vous mettrez du mastic à la place du chewing-gum.

PAUL

Vous voyez ?

LE PATIENT

Commencez déjà par vous excuser.

PAUL

C’est à elle de s’excuser.

LE PATIENT

Faites un effort.

PAUL

Il se relève. Docteur Bergeral… Catherine… Cathy… Cat… Le Patient grogne. Je voulais vous dire… je m’excuse de vous avoir parlé sur ce ton tout à l’heure. Je regrette… sincèrement.

CATHERINE

C’est bon, n’en parlons plus.

LE PATIENT

Lui soufflant. Dites-lui que vous appréciez sa compagnie.

PAUL

Qui a mal entendu. J’apprécie beaucoup la comédie.

CATHERINE

Ne comprenant pas. Oui, Paul. Moi aussi j’aime beaucoup la comédie. C’est distrayant. Ce n’est pas comme la tragédie. C’est différent, quoi. Je vais moi-même voir beaucoup de comédies quand j’ai le cafard par exemple. J’aime bien rire. Et vous, vous aimez ça, j’ai cru comprendre ?

PAUL

Oui.

CATHERINE

Et vous aimez quel genre de comédie ?

PAUL

Drôle ! Je préfère quand c’est drôle.

CATHERINE

Oui, moi aussi.

LE PATIENT

Dites que vous vous sentez bien quand vous êtes près d’elle.

PAUL

Au Patient. Qu’est-ce que vous dites ?

CATHERINE

Je dis : Moi aussi, je préfère quand c’est drôle, les comédies tristes m’ennuient très vite.

PAUL

Se cassant en deux pour mieux entendre. Je n’entends pas un mot de ce que vous dites.

CATHERINE

Qu’est-ce que vous avez, Paul ?

PAUL

Rien. Je gratte la petite tache dans le coin. Au Patient. Alors ?

LE PATIENT

Dites que vous vous sentez bien quand vous êtes près d’elle.

PAUL

C’est complètement faux, elle me stresse à mort.

LE PATIENT

Dites-lui !

PAUL

Avec effort. Je… je me sens bien… je me sens bien… Au Patient dans un souffle.  Je n’y arrive pas !

LE PATIENT

Allez-y, je vous dis !

PAUL

Je me sens bien… je me sens bien, c’est tout ce que je peux dire. Voilà !

CATHERINE

Je suis contente pour vous Paul.

PAUL

Voilà, voilà.

LE PATIENT

Souvenez-vous de ce que je vous ai enseigné au sujet des femmes.

PAUL

Ah ! Oui. Vous savez, Catherine, j’ai mon opinion sur les femmes.

CATHERINE

Je serais curieuse de la connaître.

PAUL

Une femme, c’est…

LE PATIENT

Une femme c’est comme une boisson enivrante.

PAUL

Une femme c’est saoulant.

LE PATIENT

Raté !

PAUL

Elles ont un goût d’amande et de quenelle.

LE PATIENT

Pour lui-même. De cannelle espèce d’andouille.

PAUL

J’ajouterai que je n’ai pas peur de me mettre à nu.

CATHERINE

D’accord, Paul. Mais on va en rester là !

LE PATIENT

Parlez-lui d’hier avec les fleurs.

PAUL

Enthousiaste. Ah ! Oui, c’est bien ça !

PREMIÈRE JOURNÉE

Une chambre de clinique inoccupée. C’est la nuit. Dans le fond, une porte vitrée à travers laquelle nous assistons à l’arrivée aux urgences d’un Patient. Tout se déroule dans une grande confusion de lumières et de sons et l’on peut reconnaître, à travers les cris et les mouvements du personnel hospitalier, une intervention chirurgicale. Enfin, on amène le blessé dans son lit. Le jour se lève doucement. Puis c’est la nuit à nouveau et de nouveau le jour. Plusieurs jours passent ainsi. Un matin, le Patient, la tête bandée et le bras en écharpe, se réveille. Un homme d’une trentaine d’années en blouse blanche entre alors dans la pièce. Visiblement très à l’aise, il parle avec assurance. Apparemment c’est le docteur. Il s’approche du lit et consulte la feuille de température accrochée au pied de celui-ci.

PAUL

Alors ? Comment il va notre grand traumatisé ? Hum ! Allo ? Il y a quelqu’un sous la bande ? Bon ! Ce n’est pas grave, c’est la tête, c’est normal. On a un peu trop secoué tout ça. La température est bonne. Il lui prend le pouls. Le pouls régulier.

Alors que le médecin prend quelques notes, le patient se redresse lentement dans son lit.

LE PATIENT

Avec difficulté. Oh ! … Oh ! …

PAUL

Le cortex sino-cérébral a dû être un peu endommagé. C’est d’une complexité le cerveau. Le moindre petit choc et tout se dérègle. Il sort une lampe de sa poche, l’allume et examine l’œil de son patient. Dans ces cas là, il faut ouvrir. On n’ouvre pas assez. C’est comme une voiture. Tant qu’on n’a pas soulevé le capot… signe d’impuissance. Il l’examine de nouveau.  C’est sûrement une question de branchement.

LE PATIENT

Mais qu’est-ce qui ?

PAUL

Le retour de la parole. C’est bien. Je suis le docteur Paul Kernoby. Vous avez subi un choc sérieux, monsieur. Trois jours de coma… sans reprendre connaissance. Ne vous inquiétez pas, vous êtes dans la meilleure clinique de la ville. Il n’y en a pas d’autres de toutes façons. Un temps. Vous savez que vous avez l’œil globuleux ? Ce n’est pas grave, mais il ne faudrait pas non plus que ça empire. Tout est là ! Il désigne le cerveau. Le siège de la volonté ! Si là-dedans, c’est opérationnel, tout le reste suit. Par exemple. Votre bras. Il vous fait mal ? Maintenant concentrez votre esprit sur cette région de la douleur et persuadez-vous que votre bras est guéri. Ça y est ? Maintenant, regardez ! Il tape sur son bras avec la feuille des températures. Le patient hurle. Vous voyez ?

LE PATIENT

Ça fait mal.

PAUL

C’est normal. Je viens de cogner dessus. Mais il y a du progrès. Vous ne vous en rendez pas compte, parce que vous n’êtes pas qualifié pour, mais il y a du progrès. 

LE PATIENT

Vous croyez ?

PAUL

Je ne crois pas, monsieur. Je sais. 15 ans d’études. Il n’y a pas de place pour le tâtonnement, pour l’hésitation ou l’improvisation. Du concret ! Je ne fais que de la guérison. Le reste, je le laisse aux amateurs. C’est compris !

LE PATIENT

Oui. Comment suis-je arrivé ici ?

PAUL

Monsieur Berthier, notre ancien trésorier, vous a renversé avec sa voiture et vous a déposé au service des urgences de notre établissement.

LE PATIENT

J’ai été renversé par une voiture ? Mais comment est-ce arrivé ?

PAUL

A la suite d’un choc, entre vous et une voiture donc. D’après monsieur Berthier, vous traversiez la route à quatre pattes et il n’a pas pu vous éviter.

LE PATIENT

A quatre pattes ?

PAUL

Oui. Est-ce que vous comprenez bien ce que je dis, monsieur ?

LE PATIENT

Pourquoi ?

PAUL

Parce que depuis tout à l’heure, vous n’arrêtez pas de répéter toutes mes fins de phrases. Et ça, c’est symptomatique.

LE PATIENT

Ah ! Bon ?

PAUL

Absolument. Vous subissez ce que l’on appelle dans notre jargon un Postraum. C’est une réaction post-traumatique. Vous avez l’impression de voir les choses comme à travers un rêve. La réalité est floue, voilée. Ce sont les symptômes caractéristiques du Postraum. Ça ne durera pas longtemps. Faites-moi confiance, vous êtes entre de bonnes mains. Des mains qui ont soulagé bien des souffrances et sauvé tant de vies humaines. Des mains qui ont passé des heures entières à raccommoder des plaies déchirées et meurtries. Petite musique douce au violon. Très mélo. Elle évoque le souvenir. Je me rappelle la petite Amélie, une de mes plus fidèles admiratrices à présent, et qui après avoir chuté du 7ème étage, poussée par sa mère alcoolique et dépressive, avait atterri sur une jolie petite verrière. Sept heures pour retirer tous les petits bouts de verres, suivies d’une opération du cerveau qui a duré dix-huit heures. Dix-huit heures sur le billard avec une tension de tous les instants. Trois arrêts cardiaques et par trois fois mon anesthésiste, un petit gars que j’ai formé moi-même, a réussi à lui réinsufler la vie. Tout le personnel suivait cet exploit. La presse, à qui j’avais interdit de filmer l’opération, se pressait dans les couloirs dans l’espoir de m’interviewer. Ce fut un combat mémorable. Oui, monsieur. Ces mains-là valent de l’or. Regardez ! Elles ignorent le tremblement. On peut dire que vous avez de la chance de tomber sur moi.

 LE PATIENT

Je vous remercie monsieur.

PAUL

Appelez-moi docteur tout simplement.